top of page
  • Photo du rédacteurThe English Fairy

Être prof ET malade

Dernière mise à jour : 23 oct. 2019

Ça vous est déjà arrivé de vous demander ce que vous faisiez là, devant vos classes ? De vous interroger sur vos motivations et le but de votre travail quotidien ? Depuis quelques mois maintenant, vous l’aurez compris, je suis un peu résignée et surtout un peu lassée du comportement de mes élèves (je suis en REP+, pour ceux qui débarquent).


C’est vrai qu’en tant qu’enseignant, on a souvent tendance à se remettre en question. On en vient même à vouloir tout envoyer valser parfois. Dans le cas les plus extrêmes, on démissionne même. Mais pourquoi ? Ras-le-bol, lassitude, mécontentement, incompréhension du système et des attentes du ministère…la liste est longue et surtout très personnelle.


En ce qui me concerne, c’est pour une toute autre raison. Maintenant que l’orage est « passé », je décide de partager mon petit secret, mais juste parce-que c’est vous. Cet article est un peu plus personnel, et j’en appelle donc à votre bienveillance. Il ne s’agit pas là d’étaler ma vie, mais plutôt de partager une expérience pour tendre la main à celles ou ceux qui traversent une situation similaire, et montrer qu’on peut trouver des solutions, même si l’on est marqués pour un moment. J’explique.


Octobre 2018 : physiquement, ça va mal depuis un moment. Je me suis blessée pendant le Paris-Versailles, au 7e km. Mais j’ai continué et terminé la course parce-que je suis un peu têtue dans mon genre, n’en déplaise à ma licorne. Le verdict est sans appel, double entorse du genou et entorse de la cheville. La ligne d’arrivée a un goût amer. J’ai mal, et je m’en veux presque de m’être imposée ça. La pratique du sport s’arrête net, et je dois en plus me mettre en arrêt, parce-que je ne peux pas conduire et faire mes 100km quotidiens. Oui, contrairement à ce qu’on pense, l’arrêt n’est pas forcément bien vécu par tous, surtout chez les profs.


En 4 semaines je prends 10kg. J’ai arrêté le sport, certes, mais j’ai adapté mon alimentation, histoire d’éviter ce genre de scénario. Je suis donc assez confuse.

Je reprends le sport début novembre. Rien à faire, le poids augmente toujours autant, et je suis de plus en plus fatiguée. De nouvelles douleurs apparaissent. Je songe à un épuisement physique « simple ». Après tout je travaille beaucoup et je suis quand même assez angoissée (étonnant en 1ère année en REP+ *sarcasme*).


Décembre 2018 : j’ai fini par aller voir mon médecin au bout de 17kg en plus sur la balance. Étonnée elle aussi, elle m’envoie faire toute une batterie d’examens, et me dirige en médecine interne. On pense à plein de choses, sauf au pire.


9 janvier 2019 : le diagnostic tombe. C’est un cancer (et une légère hypothyroïdie au passage). J’ai pas encore 30 ans, et j’ai déjà une maladie auto-immune complexe à gérer. J’ai un peu peur, mais je me sens capable d’affronter l’épreuve. Passés les pleurs et les interrogations, on met en place un plan d’attaque. Pas de chimio pour l’instant, on blinde sur des compléments alimentaires très spécifiques, et le mode de vie toujours aussi sain. J’en suis à 20kg de plus, mais je commence à comprendre ce qui se passe dans mon corps.


J’ai l’accord des médecins pour continuer à travailler, alors j’y vais. Je tiens à la réussite de mes élèves, malgré leur niveau, et je veux être là pour eux. Et pour moi aussi. Mine de rien, ça fait battre mes ailes de me sentir utile.


22 janvier 2019 : réunion hebdomadaire. Le sujet du jour c’est la DHG (Dotation Horaire Globale). L’heure est aux économies et on perd une classe, des dédoublements et plusieurs projets. Le choc est rude, mais je me dis qu’on peut essayer de mettre des choses en place. On a pas trop le choix de toute façon. Je suis étonnamment assez facilement résignée sur le coup. Certains collègues ne voient pas les choses ainsi. La réunion se poursuit par des échanges assez violents entre enseignants et direction, ça crie, ça manque de respect et ça ignore ceux qui tentent de proposer des choses. C’est la douche froide pour moi. Ça paraît rien, mais pour moi ça a été le début de la fin. J’ai été à la fois choquée des mesures prises sur la DHG (avec le recul) et en même temps par le comportement des autres adultes présents. Personne ne s’écoute et essaye de crier plus fort que l’autre. Pour la première fois depuis la rentrée je songe à la démission. Je refuse d’exercer mon métier dans les conditions proposées et entourée d’autant de véhémence. Je sors de la réunion en larmes, déterminée à quitter l’Éducation Nationale, et certains collègues tentent de me raisonner pendant 1h sur le parking. J’explique quand même que la DHG en elle-même n’y est pour rien, mais elle a été la cerise sur un gâteau déjà bien haut. Je fais les 46km jusqu’à chez moi toujours en larmes, je crie même. Ça ne fait pas spécialement du bien, mais ça sort.

Mister Fairy me récupère ainsi, hébété par ce que je lui dis. Je refuse d’aller travailler le lendemain. Je file chez le médecin qui voit bien que ça ne va pas et me conseille de prendre une « petite pause ». Je lui dis que c’est difficile pour moi d’envisager l’arrêt de travail, mais qu’en même temps je sens que je ne suis pas du tout sereine. Elle me donne 15 jours.


La libération. Je dors de nouveau (mieux), je prends le temps de faire des recherches sur le cancer, je commande tous mes compléments alimentaires, je fais du yoga. Bref, je prends un peu de temps pour moi. Je mentirais en disant que je n’ai pas pensé à mes élèves. Mais pour moi c’était du court terme. Seulement voilà, 15 jours plus tard, rien que l’idée de prendre ma voiture pour aller au collège me donnait des sueurs froides. On prolonge donc…


Mi-mars : je commence à me rendre compte que mon arrêt est bientôt terminé. J’y vais ? J’y vais pas ? L’opération est prévue pour le mois d’avril, ça ferait sens de rester chez moi. Mais mes élèves me manquent et je sais que ça ne se passe pas forcément bien avec le remplaçant qui a été nommé. Ça fait deux mois que mes élèves n’ont pas eu anglais, et vu leur niveau de base, ça m’inquiète.

Je fais les comptes dans ma tête, j’arrive bientôt à 90 jours d’arrêt cumulés. J’ai deux options si je veux continuer à toucher 100% de mon salaire : retourner travailler ou passer en arrêt longue durée. Je réfléchis, beaucoup, je change d’avis, beaucoup aussi. Je sais que l’arrêt long est justifié médicalement. Personne ne peut remettre ma santé en cause. Seulement voilà, je vais « plutôt » bien. Toutes proportions gardées. Je tiens à peu près debout, je sais toujours parler anglais (ouf) et je pense toujours à mes élèves.


C’est mentalement que c’est plus compliqué. J’ai plus vraiment envie de faire des efforts pour supporter les états-d’âmes des uns et des autres. Je juge que pour l’instant j’ai un peu d’autres charges mentales à gérer. Est-ce que c’est possible ? Est-ce que je peux retourner travailler et faire fi de tout cela ? Finalement la réponse me semble toute trouvée quand je pense à ce que c’est SIX mois d’arrêt. Je me connais, je n’y arriverais pas. Comment suis-je censée aller mieux si je suis en ARRET ? Ça me semble contradictoire. Je précise que ceci est une perception totalement personnelle. J’ai toujours une pensée pour les collègues qui sont malheureusement obligés d’en passer par là tant leur santé se dégrade. Malgré les encouragements de mes proches de prendre ce temps pour moi, je décide de retourner face à mes classes.


2 avril : la reprise. C’est difficile, mais certains élèves semblent contents de me revoir. Il me reste seulement 3 semaines avant les vacances de Pâques. L’opération est prévue pour le 8 avril. Tout se passe à peu près bien. Je peux même retourner travailler le lendemain. Attention, je dis pas que les licornes gambadaient dans le pré, mais au moins, elles étaient là ! Les 3 semaines sont longues, mais je tiens le coup. Je suis contente de retourner travailler. Je sens que la pause a été salutaire. Malgré les douleurs post-opératoires, je trouve que je suis assez opérationnelle.


Rentrée des vacances, mardi 7 mai : Il reste encore quelques semaines avant l’arrêt des notes. Je suis motivée pour les faire travailler. HAHA. Quelle drôle d’idée. Mes élèves avaient déjà décidé que c’était les vacances. Une première classe me fait connaître ses doléances : je suis trop souvent absente, je suis trop exigeante, à cause de moi ils sont en retard et je suis schizophrène à changer d’humeur. La douche froide, encore, décidément. C’est bon pour la crinière, mais ça me fait dresser les poils. Je ne comprends pas.


Quelques semaines passent. Deux malaises au compteur « seulement ». Une deuxième classe exprime son mécontentement : je suis trop sévère, alors qu’ils sont en retard à cause de moi, je les piège avec des évaluations. Bref, ils ne sont pas contents, donc ils ne travaillent pas. En plus c’est le ramadan. Ils me demandent de l’indulgence et de la bienveillance. LOOOOOL. Si encore ce n’étaient que 3 ou 4 élèves par classe. Mais non, c’est bien une quinzaine qui s’est exprimée à chaque fois. Dernière douche froide pendant les conseils de classe où les associations de parents d’élèves s’expriment sur le fait qu’ils trouvent déplorable que des professeurs soient si souvent absents. « Si encore ils étaient remplacés ». D’accord…


Je ne vais pas épiloguer sur les divers moments où les élèves m’ont pointée du doigt depuis mon retour, car il y en a un certain nombre et en plus ça me met de mauvaise humeur, c’est pas bon pour mes ailes. De cette expérience, j’en conclus plusieurs choses. Des positives et des beaucoup plus négatives.


La petite fée optimiste que je suis se dit :

- J’ai quand même eu du temps pour moi, et j’ai pu prendre du recul sur toutes ces petites choses insignifiantes qui jusque-là me gâchaient des journées entières.

- La maladie c’est nul. Ça craint. Ca ruine le moral. Mais on relativise tellement facilement. La photocopieuse ne marche pas ? On s’en fiche, ils vont copier !

- Ils s’en prennent à moi ? Ils se sont sûrement sentis abandonnés. Ils ont trouvé quelqu’un qui croyait en eux, et qui mettait des choses en place pour les aider. On leur enlève d’un coup. Forcément c’est pas cool. Toute leur frustration sociale est rejetée sur ma petite personne.

- J’ai pu me rendre compte que dans mes collègues, certains étaient vraiment inquiets pour moi. J’ai pu tisser de vrais liens et me rendre compte de l’affection qu’on me porte. Pour de vrai.


La jeune femme épuisée ne voit pas forcément les choses de la même manière :

- Je trouve ça dommage qu’on soit encore dans un système qui culpabilise les enseignants (et pas que) dès qu’un arrêt de travail est mis en place. C’est incroyable qu’on attende de nous qu’on soit des machines en permanence.

- Etre prof et être malade (genre pas que le rhume), bah c’est hyper difficile les amis. Ça demande du courage et de la ressource, alors qu’on a pas du tout d’énergie.

- Tous les efforts mis en place pendant la maladie ne sont pas forcément récompensés, et il se peut même qu’on vous reproche presque d’être dans cet état. AND IT FUCKING SUCKS !

- J’ai réellement cru que mes élèves allaient comprendre. Ils sont plus matures pour la plupart, de par leur environnement familial et social. Un cancer, malheureusement, ils savent ce que c’est. Mais non, ils me sont tombés dessus comme des matraques. Je cherche encore à trouver des explications tant je peine à croire à leur ingratitude et leur manque de respect. Sans forcément attendre une médaille, j’espérais au moins un minimum de coopération.


Loin de moi l’idée de m’apitoyer et de chercher l’approbation de mes pairs. J’ai fait mes choix en conscience et je ne regrette rien. J’ai fait ce que je sentais pouvoir faire dans la limite de mes capacités, en me sentant soutenue par ma direction et mes proches. Je n’ai pas besoin d’une médaille. Malheureusement, je croise de plus en plus de collègues confrontés à la maladie qui restent désemparés face au manque de compréhension de l’Éducation Nationale de manière générale. Et ça me désole. Se retrouver en plus devant des élèves en pleine crise d’adolescence et donc presque dénués d’empathie n’arrange rien. Mais il y a de l’espoir, toujours, quelque part.


Poussière de fée et self-love,

The English Fairy

1 commentaire
Post: Blog2_Post
bottom of page